Entretien avec … Guillaume SOREL (Backstab N°22 Johan Scipion)

 

Bien connu des rôlistes pour ses nombreux travaux d’illustration, et des lecteurs de Bande Dessinée pour sa contribution essentielle au renouveau du fantastique illustré, Guillaume Sorel est l’un de ces artistes que l’on ne présente plus. Mother, son premier album solo, vient de paraître aux Editions Casterman.

GS : J’ai fait mes premières illustrations pour le jeu de rôles pendant que j’étais encore aux Beaux-Arts. Lorsque j’ai commencé à travailler avec Oriflam, ils venaient de publier Stormbringer et à partir de là, j’ai bossé quasiment dans tout ce qu’ils ont sorti sur les deux ou trois années suivantes – Stormbringer donc, Hawkmoon aussi, et surtout beaucoup de Runquest. Pour Descartes, c’est d’abord passé par Casus Belli : j’ai fait deux couvertures pour le magazine, puis des illustrations pour les encarts scénarios et pour Ceux des profondeurs, un supplément Lovecraftien à Simulacres. Par la suite, j’ai aussi travaillé pour Siroz.

B : Quelle était exactement votre relation au Jeu de Rôles ?

GS : A l’époque, je n’y connaissais rien. Depuis j’ai un peu essayé, mais ça ne m’a pas particulièrement enthousiasmé. Ce qui me gênait un peu là dedans, c’est le côté fanatique, hystérique, même si j’ai rencontré beaucoup de joueurs qui étaient des gens normaux. D’ailleurs, les scénaristes avec qui j’ai travaillé après, que ce soit Froideval, Mathieu Gallié ou Thomas Mosdi ont tous été rôlistes et maîtres de jeu. En fait, c’était les univers décrits qui m’intéressaient, parce que j’aimais bien les bouquins d’où ils étaient tirés – Je pense particulièrement à Stormbringer et Hawkmoon. Même en ce qui concerne la bande dessinée, la base de mon travail reste toujours la littérature fantastique. J’ai d’ailleurs une bibliothèque particulièrement fournie.

B : Justement, Mother est inspiré de L’artiste de Lune de Davis H. Keller.

GS : C’est paraît-il un auteur très très connu aux Etats Unis, mais quasiment introuvable ici. Le problème c’est qu’il n’y a pratiquement rien de lui qui soit traduit en français. Trois de ses nouvelles seulement ont été publiées chez nous, et à chaque fois dans des anthologies, donc des faibles tirages. L’Artiste de Lune se trouve dans le deuxième d’une série de trois recueils parus aux Editions NéO et qui s’appellent Les Saigneurs de la Nuit. Chaque volume se divise en trois : vampires, loups-garous et goules. La nouvelle en question faisait partie de la partie vampirique, à cause du personnage de la mère. Sauf que dans l’album j’ai rendu la chose encore un peu moins évidente que dans la nouvelle. Il y a quand même un élément fantastique à la fin, mais je ne voulais pas qu’il y en ait trop dans le cheminement de l’intrigue, même s’il y a des indices partout, comme le coup du crucifix par exemple. Au départ, ce qui m’a attiré dans ce texte, c’est l’idée de cet homme enfermé dans un hôpital et qui peint une fresque sur un mur.

B : C’est pour ça que l’album se raconte essentiellement par l’image ?

GS : En fait, je n’aime pas les voix off. Même avec les scénaristes avec qui j’ai travaillé, à part Froideval parce qu’il est incontrôlable, j’ai toujours essayé de ne pas utiliser ce procédé. Dans l’Ile des Morts, il n’y a pas de voix off. Et même les pensées, je préfère les éviter. L’histoire de Mother fait quarante six pages et je pense que je n’aurais pas pu faire beaucoup plus, parce que je ne voulais pas mettre plus de scènes, développer plus de choses. Par contre, c’est un album qui, pour moi, qui doit être lu et relu. La première vision, qui je pense est assez rapide, permet de suivre l’histoire. Mais après, tout le plaisir se trouve normalement dans la relecture, parce qu’il y a du sens dans chaque cadrage. C’était l’idée de ce scénario, que chaque image soit composée pour amener toutes sortes de messages. Cette mise en scène sophistiquée s’explique parce que j’ai écrit ce projet en 1993 et que depuis je le rumine, je le prends dans tous les sens.

B : C’est vrai qu’on retire de Mother l’impression d’un travail très maîtrisé…

GS : Grâce à Amnesia, j’ai fait beaucoup de progrès sur le découpage et la mise en scène. A l’époque j’étais en train de craquer gentiment à cause de Mens Magna. J’étais saturé de devoir changer de lieu à chaque case et aussi parce qu’il n’y avait pas de vraies scènes de dialogue entre les personnages. Et quand Tomas m’a amené Amnesia, ça tombait bien parce que j’avais envie d’un huis clos avec un petit nombre de personnages. Je voulais les faire bouger dans un seul lieu, comprendre leurs déplacements et faire en sorte qu’ils soient justifiés, un peu comme s’il s’agissait d’une mise en scène théâtrale. Tout ça m’a servi pour Mother parce que, juste avant de commencer, j’ai repris mon ancien découpage pour le perfectionner : soigner chaque cadrage, faire en sorte de rendre la lecture plus efficace, plus fluide. Et c’est vrai que le texte devient du coup souvent moins indispensable. Je pense que si j’avais écrit le scénario six mois plus tôt et que je l’avais fabriqué dans la foulée, il y aurait eu plus de texte mais le dessin aurait été moins précis, moins clair. C’est aussi le temps qui a fait que j’ai pu me permettre d’épurer en me disant que ça allait être beaucoup plus compréhensible.

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B : Le découpage est donc une phase essentielle. Comment procédez-vous ?

GS : J’avais écrit un texte scène par scène, sur lequel il n’y a quasiment pas eu de remaniement. Le travail suivant, celui qui a le plus évolué par la suite, a été de réaliser un premier découpage très rapide sur des feuilles A4. Je sais en gros ce qui va se dérouler sur la page et je ne réfléchis qu’après à ce qui doit être revu et corrigé. Puis j’écris à côté de chaque case ce qui va se passer. Ca me donne une première composition de l’image, mais les personnages ne sont encore que des ronds et des traits. Après, je passe au format définitif des planches, qui est quand même assez grand. Dès que j’en commence une, avant même le crayonné, je situe déjà les bulles : j’écris le texte au crayon et je le gomme après.

B : les flash-back sont particulièrement réussis, ce qui démontre peut–être que…

GS : …que j’ai appris à peindre ! En fait, c’est la technique que je préfère. J’aimerais bien m’approcher petit à petit d’albums qui ne soient faits que comme ça, parce que c’est là que je prends le plus de plaisir. Et un autre des intérêts que j’aurais à utiliser cette technique sur un album entier, c’est que je ne passe qu’une journée par planche – le gain de temps est énorme. Quand j’ai démarré, je me considérais plus comme un dessinateur, un graphiste. Je travaillais à la plume, à l’encre, en noir et blanc. J’ai vraiment appris la couleur sur l’île des morts parce qu’avant, je ne savais tout simplement pas. Il suffit d’ailleurs de voir les deux couvertures de Casus Belli, qui sont assez moches quand même. Puis, d’album en album, ça s’est bien installé. C’est vrai que ça m’a beaucoup apporté d’avoir vu Michel Crespin faire la couleur sur Amnesia.

B : Et maintenant ?

GS : J’ai beaucoup de projets. J’ai déjà une histoire en cours pour un autre album solo, peut-être pour dans deux ou trois ans. Je trouve que les idées viennent vite, mais le problème c’est que même en étant très rapide – il ne me faut que six mois pour faire un album – je trouve ça encore trop long. Sinon, mon prochain projet s’appelle Typhaon, deux tomes que je réalise avec Dieter et qui seront édités chez Casterman. Le premier est terminé depuis mars, mais nous attendons août pour le sortir parce que j’aimerais qu’il n’y ait pas trop de délai entre les deux. Il s’agit d’une histoire d’horreur marine, un hommage à Hodgson et à Jean Ray. L’histoire se déroule à la fin du siècle dernier et tourne autour d’une jeune scientifique qui, au démarrage de l’album, vient de faire naufrage. Elle est recueillie par un bateau dont l’équipage, une quinzaine de marins, a un petit problème : ils ne sont plus tout à fait vivants…

Johan Scipion 

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